Les Sociétés (Abbayes) de tir dans la Paroisse et Cercle de Corsier…
Sans vouloir imposer une quelconque date officielle de fondation, la destinée de la très discrète et bien-pensante Société des Chantres a été très liée à celle de la châtellerie et église paroissiale de Corsier par acte d’établissement délivré par le Noble, Magnifique et très honoré Seigneur Jean Frederich Ryhiner en date du 21 août 1746 et, à celle de LL. EE de Berne par son Président, Jean-François de Crousaz, châtelain.
A-t-elle exigé, en plus d’assurer les chants religieux aux offices, la pratique du tir à la cible et la parade à ses chantres ? Certainement si l’on se réfère à ses archives !
A titre d’exemple, la déconcertante observation tirée de ses registres : Rapport du 19 septembre 1804 : 78 tireurs de la Société des Chantres étaient présents avec armes et uniformes au bâtiment du tirage. grégation délivrée en 1754 par l’honorable Société des Chantres…
Nous les Présidents, Fondateurs et Général de l’honnorable Société des CHANTRES, êtablie dans la Paroisse de Corsier en l’année 1746, sous l’approbation du Noble, Magnifique et très honoré Seigneur JEAN FREDERICH RYHINER, pour lors Ballif à LAUSANNE, Certifions à tous ceux qu’il appartiendra que nous reconnaissons le sieur Jean Samuel DUBUIS, justicier et Bourgeois de ditte Paroisse, pour être l’un de ceux qui ont pensé au louable Etablissement de ditte société, et qui s’est aidé à la fonder, en contribuant ce qui fut alors trouvé convenable par tous les Fondateurs assemblés le 21 aoust de ditte année, savoir la somme de CINQ FLIRONS payée comptant dont le tenons quitte à perpétuité ; ENSORTE que lui et les siens, à naitre en Loyal Mariage, pourront jouir dans la suite de tous les avantages et prérogatives attachées à ditte société en se conformant aux Loix d’icelle tant faites qu’à faire, lesquelles il a promis de bonne foy observer et faire observer a tous les membres qui la composeront ; Pour foy dequoy DONNE sous le sceau de ditte société et expédié au dit Sr.DUBUIS Fondateur, sous la signature du Notaire juré, secrétaire d’icelle, ce 1ome.Mars 1754. M. Jean-Daniel Taverney, Mont-sur-Rolle, Membre d’honneur des Abbayes du Cercle de Corsier-sur-Vevey, a examiné un acte d’agrégation de la Société des Chantres, daté de 1754 et, porté commentaires sur le texte original en français vaudois, qu’il a transcrit avec pondération en français. Le document, ci-dessus référencé, est signé CUENOD, Notaire juré, Secrétaire de l’honorable Société des Chantres de la Paroisse de Corsier, Receveur-percepteur agissant pour le compte du bailliage d’Oron et, futur major d’arrondissement… La syntaxe est simple, mais emphatique. La ponctuation est fidèle au XVIIIe. Le cachet en cire apposé au bas de l’acte est partiellement effacé. On y distingue toutefois un personnage en chasuble, portant coiffe, tenant sa main gauche sur la hanche et, à la main droite, élevée à hauteur du visage, un livre. En exergue, à droite, le mot MUSICA… La teneur de l’ajout de gauche est illisible…
La grande enquête de LL. EE. de Berne… En 1788, LL. EE. de Berne, sous le vil prétexte de vérifier le nombre de membres, l’application des règlements et autres affaires, recensèrent plus de 16 000 tireurs, regroupés dans 262 Sociétés (Abbayes) de tir en Pays de Vaud, dont la fortune était estimée à 1 200 000 fl. (4) de fonds propres. Fait saisissant, la très discrète et bien-pensante Sociétés des Chantres ne figure pas dans l’état nominatif bernois et pour cause…
Ce recensement bernois n’était pas innocent, la rapacité de LL. EE. de Berne et de leurs baillis, que dénoncera Davel, ne connaît guère de limite. En voici un exemple : toute mutation d’un bien-fonds devait faire l’objet d’un acte notarié, ce qui permettait la perception du lod (droit de mutation actuel), alors que les propriétés des communautés publiques était inaliénables !
Par « clairvoyance » du Notaire juré Cuénod, bourgeois de la Paroisse de Corsier, receveur-percepteur du bailliage d’Oron et secrétaire des Chantres, « sa » Société esquivera avec aisance les appétences bernoises…
La Société des Chantres sera diligemment renommée en 1820, Société de tir de l’Union… Depuis la fin du XIXe, elle est couramment appelée L’Union. Sa devise Union et Concorde est énigmatique !
Surprenant, malgré une exubérante activité entre le XVIIe et le début du XVIIIe, la Noble compagnie des mousquetaires de Chardonne, fondée en 1678, se scinde à partir de 1736… Le Conseil de la Noble compagnie des mousquetaires, sous la tutelle de zélés serviteurs de LL. EE. de Berne, n’inspire plus confiance à quelques bourgeois de Chardonne et autres Communes de la Paroisse (l’épisode peu glorieux de la trahison, puis de la décapitation à Vidy le 24 avril 1723 du major Davel, soutenu par l’aumônier d’un régiment suisse, Jean-Pierre Bergier, seigneur de Pont, bourgeois de Chardonne et la lettre d’innocence du 27 avril 1723, adressée par l’Avoyer de la ville de Berne aux pleutres commis des quatre Paroisses de Lavaux, n’est pas étranger à cette scission). Malgré l’échec de Davel, les séquelles seront si profondes que, lors de la cérémonie du bicentenaire de sa mort, de nombreux Confrères seront présents à Cully.
En 1737, c’est sous le nom de Société des tireurs que ces bourgeois dissidents reprendront la pratique du tir « sportif » jusqu’à la dissolution de la châtellerie de Corsier (fin du XVIIIe). Elles seront réunifiées en 1816 sous un seul patronyme, la Société Militaire du Cordon Bleu !
A l’aide de recoupements extraits de diverses archives communales et cantonales, en particulier à celles touchant à l’organisation des contingents de la châtellerie de la Paroisse de Corsier et, sans vouloir imposer une quelconque date officielle de création, la nouvelle Société Militaire du Cordon Bleu, malgré son grand âge, retiendra en guise de date constitutive, le 20 octobre 1816. Cette date n’est pas anodine, elle correspond à l’avis favorable donné par le Conseil d’Etat du Canton de Vaud à l’alarmante pétition du 1er septembre 1816, rédigée et signée par quelques Confrères, bourgeois de Chardonne et autres Communes de la Paroisse et, à la signature de la convention de partage des biens et dettes de la Paroisse et châtellerie de Corsier, le 10 octobre 1816.
Extrait de la pétition de 1816 : … que l’on a projetté cette fondation dans le but de remplacer le Tirage de la Paroisse (châtellerie) qui va être dissout par le Partage d’Icelle qui doit avoir lieu dans peu. Cette Société se nommera Société Militaire du Cordon bleu…
Pratique du tir, port d’armes, préparation militaire, telles étaient les aspirations profondes des confrères de la Société militaire du Cordon Bleu. Pour mémoire, son règlement de 1816 rédigé à l’instar de celui de la Société des arquebusiers de Vevey moyennant quelques légères modifications… exigeait le port d’un cordon bleu (un souvenir des habits de drap bleu de Roy imposés en 1758 à la Noble compagnie des mousquetaires de Chardonne par LL. EE. de Berne ? Assurément non !) !
Le port du cordon bleu, un hommage aux Chardonnerets qui s’étaient rendus en Italie ce 13 mai 1800, sous les ordres d’un certain Bonaparte, en remplacement de quelques fils de notables de la Paroisse de Corsier, partis précipitamment de la châtellerie pour une partie de chasse à courre dans les forêts des hauts…

Napoléon Bonaparte
Le port du chapeau garni d’un bord d’argent, une obligation lors des tirages, sous peine d’amende de 2 fl. et annulation des tirs. L’effectif au jour de sa fondation était constitué de 114 bourgeois et forains (bourgeois domiciliés hors d’une Commune). Depuis la fin du XIXe, elle est couramment nommée Le Bleu.
Le 19 août 1849, généra l’impécunieuse Société de tir du Cordon Vert et Blanc aux sobres couleurs vaudoises. Indubitablement un souvenir de 1803… Son histoire est accessible; sa perpétuelle maxime : ripaille et fête, la thésaurisation aux autres ! Elle est usuellement appelée Le Vert et Blanc depuis la fin du XIXe.
Le 24 février 1861, quelques mélomanes de la fine gâchette des hauts, fondèrent à Jongny, la Société des Campagnards réunis (nom donné par les fondateurs) ou Société militaire des Campagnards réunis (nom donné par le Conseil d’Etat du Canton de Vaud (9 mars 1861)), en réplique aux fortunées Société de tir de l’Union et Société Militaire du Cordon Bleu. Les Campagnards réunis est son patronyme usuel depuis la fin du XIXe. Son concept et sa fondation sont à l’image de ses fondateurs, débonnaires et jovials !
L’histoire de nos quatre Sociétés de tir (Abbayes), à l’exception des Campagnards réunis (société ouverte aux Confédérés) et du Cordon Vert et Blanc (société ouverte aux Vaudois d’origine), appartient aux familles bourgeoises et foraines des Communes de Corsier, Corseaux, Chardonne et Jongny en vertu de leurs agrégations par droit héréditaire et ce, depuis plus de trois siècles.
Exercices et tirages…
Jusqu’à ce 12 août 1893, les exercices et tirages s’effectuaient au Vieux Stand ou Bâtiment du tirage, au lieu dit En Beau-Site (actuel), aux confins de Chardonne et de Corseaux, co-propriété de la Société de tir de l’Union et de la Société Militaire du Cordon Bleu.
Suite à la vente du Vieux Stand ou Bâtiment du tirage par la Société de tir de l’Union et la Société Militaire du Cordon Bleu à la Famille Barrelet, négociants en spiritueux et vins à Vevey, pour cause de danger imminent que présente la ligne de tir pour les armes modernes étant donné la faible distance du but (archives de L’Union et du Cordon Bleu) ou, plus franchement à cause de la future construction du funiculaire Vevey – Chardonne – Mont-Pèlerin au travers de leur grande propriété…, leurs tirages se feront, à partir de 1894, à Vevey, au Stand de Gilamont (la plus renommée des lignes de tir inclinées de Suisse qui a vu naître la célèbre Société vaudoise des Matcheurs).
Le pas de tir de Gilamont sera officiellement inauguré, en présence des Autorités cantonales, par les représentants des Communes du District de Vevey en mai 1921, après plus de vingt années de transformations plus ou moins sécuritaires. Il sera « modernisé » avec discrétion entre 1993 et 1994…
Aujourd’hui…
développement et fusion administrative de nos Sociétés (Abbayes) de tir
Il faudra attendre plus d’un siècle (1971) pour voir nos Sociétés (Abbayes) de tir admettre le féminin.
Le 12 novembre 1993, sous la houlette des Confrères Jean-Paul Hurlimann, Bernard Cuénod et Etienne Bettens, mandataires extraordinaires des quatre Sociétés (Abbayes) de tir du Cercle de Corsier, la communauté des Abbayes du Cercle de Corsier-sur-Vevey, par association administrative, sera ainsi créée.
Suite à la fermeture du stand de tir de 300 m de Gilamont en 2009, les tireurs de la Riviera se sont déplacés à Villeneuve. Mais la proximité d’Attalens a été un argument fort pour rejoindre nos amis fribourgeois . C’est ainsi que, dès le tir de septembre 2014, les membres de nos Abbayes effectuent leur concours annuel dans un magnifique cadre champêtre au stand d’Attalens.
Bibliographie
Archives cantonales et communales
Archives de l’Etat de Berne
Archives de la Société des Abbayes du Cercle de Corsier-sur-Vevey
Registres des affaires militaires du Cercle de Corsier-sur-Vevey
Ouvrages spécifiques